Guitariste :: Compositeur :: Arrangeur

O'Carolan

O'Carolan

  Contexte historique

 

 

Le barde dans la civilisation gaélique

Les poètes occupaient une place prédominante dans la civilisation gaélique. Ceux-ci étaient formés durant de longues années dans les Ecoles de Bardes qui fleurirent en Irlande jusqu'à la première partie du 17ème siècle.
Depuis des temps reculés, leur position dans la société était reconnue et estimée. Ils appartenaient à une caste héréditaire dans une société aristocratique et occupaient une situation officielle et respectée de par la qualité de leur connaissance de l'histoire et des traditions de leur pays.
Le Barde Irlandais n'était pas nécessairement un poète inspiré. C'était avant tout un homme de lettres rompu à l'écriture de la poésie - moyen d'expression raffiné et complexe, prisé par une élite.
A la fois chroniqueur et essayiste politique, il était un observateur critique de ses contemporains, jouant ainsi un rôle proche de nos journalistes modernes.
Selon la tradition de la "Big House", il parcourait l'Irlande de demeure en demeure reçu par les membres de la "gentry" qui avec leur famille et leurs serviteurs formaient une cellule sociale prodigant l'hospitalité et la charité, une sorte d'oasis dans un désert de pauvreté.
 
Les poèmes étaient le plus souvent composés en l'honneur de ses hôtes et en faisaient les louanges sous forme de panégyriques et d'élégies. Psalmodiés, ils étaient soutenus par un accompagnement à la harpe. Le Barde pouvait s'accompagner lui-même, toutefois les fonctions de poète et de harpiste étaient distinctes, ce dernier ayant lui aussi un statut des plus reconnus.
Ces hommages étaient conservés par leurs destinataires ; malheureusement aucune trace de la musique ne subsiste et il est difficile de l'imaginer car la métrique complexe des poèmes a peu, sinon aucune correspondance avec les mélodies qui nous sont parvenues.
L'avènement de Cromwell, en 1652, marqua la fin des écoles de Bardes. Cette poésie savante, hermétique à toute personne non instruite, disparut peu à peu.
Bien que peu remarquée, et même méprisée, existait en parallèle une poésie populaire dans laquelle les vers, au nombre précis de syllabes accentuées, étaient organisés selons des schémas simples. Dès lors, il semble que les harpistes aient non seulement composé les mélodies mais aussi écrit les poèmes répondant aux critères de cette poésie populaire.
 

Un des derniers bardes irlandais

À la fin du 17ème siècle, la tradition de la "Big House" avait toujours cours et les harpistes étaient nombreux. Reçus comme des invités de marque, ils jouaient leur répertoire et donnaient des cours à leurs hôtes. Souvent aveugles, ils sillonnaient l'Irlande à cheval accompagnés d'un guide, voyageant dans des conditions rudes, bravant les intempéries et la pauvreté ambiante.
Turlough O'Carolan s'inscrit tout à fait dans cette ligne. Il composait la plupart de ses pièces durant ces voyages. Musicien avant tout, il commençait par la mélodie pour y adjoindre ensuite des paroles en l'honneur de son hôte, paroles écrites en gaélique, qui malgré toutes les tentatives pour le supprimer, restait la langue parlée d'une grande majorité d'Irlandais, y compris des classes instruites. C'était donc la langue de Carolan, celle de ses poèmes, de ses plaisanteries et de ses célèbres réparties.
Fidèle à la tradition des poètes des siècles précedents, il composa tout aussi bien pour l'ancienne aristocratie irlandaise, descendante comme lui des Gaels, que pour les nobles d'origine anglaise.
Compositeur hautement estimé, il était reçu par toutes les grandes familles qui l'appréciaient non seulement pour ses talents de musicien mais aussi pour sa gaieté et la fidélité de ses engagements. Célèbre dans toute l'Irlande, il retint l'amitié de grands hommes haut placés, parmi lesquels l'écrivain Jonathan Swift et, étonnante réussite pour un harpiste catholique irlandais qui ne renia jamais sa foi au plus fort des lois pénales*, un livre de ses compositions fut publié de son vivant à Dublin.
 
Durant une époque sombre de l'histoire de l'Irlande, Turlough O'Carolan apporta un renouveau à la musique de son pays, une sorte de joie malicieuse qui semblait faire défaut auparavant, et de ci de là un petit rayon de soleil italien. Avec lui, les noms de belles dames et d'hommes valeureux revivent dans le charme et la grâce de ses mélodies.        M-L. B.

* Lois qui obligent les catholiques à renier leur religion ou à être dépossédés de tous leurs biens ainsi que de toute éducation.

 

Turlough O'Carolan - Harper, Composer, Poet, Singer

               Born Nobber 1670, Died Alderford 1738

"Our Great Solace in Our Great Need"  ("Notre Réconfort dans l'Adversité")

Né à Nobber, petit village du comté de Meath au nord de Dublin, dans une famille catholique, il quitte cette région à l'age de quatorze ans avec ses parents qui ont trouvés un emploi chez les Mac Dermott Roe de Ballyfarnon, dans le comté de Sligo situé quelque 150 km plus à l'ouest.
La maitresse de maison, Mrs Mac Dermott, prend rapidement le jeune Turlough sous sa protection. Elle s'occupe de son éducation et lui apprend la harpe. Elle restera toute sa vie sa bienfaitrice.
À l'âge de 18 ans, il devient aveugle à la suite d'une maladie. C'est alors qu'il décide de devenir harpiste professionnel. Trois ans plus tard, Mrs Mac Dermott lui procure un cheval, un guide, une somme d'argent et il commence son métier de ménestrel itinérant.
À cette époque, la harpe est toujours l'instrument par excellence en Irlande. Toutes les familles aristocratiques en possède une ou plusieurs et en jouent, attendant une prestation de haut niveau des musiciens professionnels en visite.
À ses débuts, O'Carolan n'est pas un grand virtuose. Son premier hôte, Georges Reynolds, lui conseille de se tourner vers la composition et lui donne le sujet d'inspiration de sa première oeuvre : le récit mythique de "Sheebeg and Sheemore". Il continuera pour ses bienfaiteurs et leur famille, composant pendant ses voyages les pièces qu'il joue à son arrivée.
Pièces dans lesquelles on retrouve trois influences : la musique populaire, la tradition des harpistes et celle des compositeurs italiens de son époque. De nombreuses anecdotes rapportent qu'à l'évidence il a une très bonne oreille et une grande facilité pour écrire les mélodies mais n'a jamais acquis les connaissances musicales qui lui auraient permis de développer ces dons au maximum.
Il passe le reste de sa vie à voyager à travers l'Irlande, reçu dans les manoirs et les petits chateaux, et subvient à ses besoins en enseignant la harpe et en jouant pour ses hôtes. C'est un bon vivant célèbre pour son esprit vif et caustique et son amour du bon vin et du whisky.
Malgré cette vie itinérante, il épouse Mary Maguire avec qui il aura six filles et un garçon. En 1733, Mary meurt et Carolan écrit à sa mémoire un de ses plus beaux poèmes.
mac_dermott_house_web2_2.jpgCinq ans plus tard, il retourne passer ses derniers jours dans la propriété d'Alderford, à Ballyfarnon, soigné par Mrs Mac Dermott. C'est là qu'il compose son fameux "Farewell to Music" en présence de plusieurs amis.
On raconte que pour ses funérailles, il y eut un grand rassemblement de harpistes venus de tout le pays pour une veillée qui dura cinq jours et cinq nuits.
Turlough O'Carolan n'a laissé aucune partition de sa musique. Quelques unes de ses pièces furent éditées de son vivant à Dublin et son fils, également harpiste, participa en 1748 à une autre édition qui malheureusement ne nous est parvenue que très incomplète. C'est donc essentiellement par la tradition que ses quelque 214 pièces sont arrivées jusqu'à nous sous la forme de simples lignes mélodiques.
La musique de O'Carolan est légère, comparée à celle des grands compositeurs de son époque, pourtant elle possède une forte personnalité immédiatement identifiable et reste une réalisation étonnante et originale. Comblant le fossé entre la musique savante et la musique populaire gaëlique, Turlough O'Carolan est à ce titre considéré comme le compositeur national Irlandais.

P. B.

La réalisation

 

 

 

Pour le premier CD (HM-MAN4966) consacré aux compositions de Turlough O'Carolan, j'ai harmonisé et arrangé vingt thèmes presque exclusivement pour la guitare classique (trois titres pour flûte et guitare).

Pour le second (HM-MAN 5026) j'ai élargi l'instrumentation aux flûtes à bec, mandoline, violon, sistre, mandole, percussions... et guitare, avec dix-neuf nouvelles pièces du barde Irlandais, aux côtés des quelles il m'a paru indispensable de faire figurer deux danses traditionnelles incontournables : le Reel, danse aux lointaines origines nordiques, et la plus irlandaise de toutes, la Jig.

Le troisième opus, "Turlough O'Carolan, Irish music for today's world" (L'autre Distribution-MLB72CAR) réalisé en 2016, comporte 22 nouveaux arrangements des mélodies du barde pour une ou deux guitares et deux compositions originales.

Le quatrième opus "Wandering with O'Carolan" (L'autre distribution-MLB75CAR2) réalisé en 2017 comporte 23 nouvelles mélodies de O'Carolan et deux compositions originales, arrangées pour une, deux ou trois guitares, guitare soprano et guitare basse.

Pour réaliser ce travail, j'ai puisé à la source qui m'a parue la plus sérieuse et la plus documentée : les deux volumes de Donal O'Sullivan intitulés "Carolan, The Life Times and Music of an Irish Harper" dans lesquels se trouvent tous les thèmes de Carolan accompagnés de l'historique de chaque pièce.

Turlough O'Carolan a créé son propre style entre la tradition des harpistes et celle des compositeurs baroques italiens. Il se disait lui-même "charmé par Antonio Vivaldi et ravit par Arcangelo Corelli". On sait également qu'il avait une grande admiration pour le violoniste et compositeur Francesco Geminiani, qu'il rencontra à Dublin vers la fin de sa vie. C'est à cette occasion, semble-t-il, qu'il composa son fameux "Carolan's concerto".

Cela explique que dans nombre de ses compositions on trouve des séquences, des imitations ou une gigue en coda à la façon des maîtres italiens cotoyant le style gaélique traditionnel, formation initiale à laquelle Carolan rend un superbe hommage avec sa dernière création, "O'Carolan's Farewell to Music".

Comme toute la musique traditionnelle Irlandaise, ces pièces se présentent sous la forme de simples lignes mélodiques dépourvues d'indication sur l'harmonisation ou la conduite des basses et l'on ne dispose d'aucune piste solide sur la façon de faire du compositeur ou de ses collegues harpistes de l'époque.

J'ai donc pris la liberté d'éclairer à ma façon l'une ou l'autre facette de l'inspiration de Carolan par l'harmonisation et le choix de l'instrumentation en cherchant une sonorité entre musique traditionnelle et musique baroque, entre Irlande et Italie.

Instrumentations excellemment servies, dans le deuxième CD, par Benoît Sauvé qui interprète ou improvise avec une surprenante virtuosité sur toutes les flûtes à bec, Robert Le Gall qui s'exprime avec la même évidence sur le violon, la mandoline, le sistre, les percussions ou la mandole, mon fameux collègue Claude Engel qui m'a fait l'amitié de croiser sa guitare avec la mienne pour quelques duos et, dans le troisième et le quatrième je partage quelques duos avec mon frère Patrick également talentueux guitariste.

Depuis un siècle, un mouvement constitué d'écrivains, de musiciens et d'intellectuels, travaille avec succès à redonner à la culture et la langue gaelique, sa place en Irlande. La musique celtique a maintenant retrouvé sa vigueur et son rayonnement non seulement dans le coeur des Irlandais mais dans le monde entier.

Pascal Bournet